A cause la rapacité du doge
Avant tout à cause de la rapacité de Venise ! Et particulièrement du doge Enrico Dandolo, octogénaire aveugle, un des chefs des croisés. Il craignait que les engagements financiers et commerciaux pris par l’empereur byzantin assassiné ne soient pas honorés par ses successeurs. Avec la prise de Constantinople et, par voie de conséquence, l’unification des églises latine (catholique) et grecque (orthodoxe), Dandolo espérait aussi que soit rapportée l’excommunication prononcée contre lui par le Pape.
Constantinople, une cible commerciale
Aussi cette campagne militaire offre à Venise la chance de se transformer de république marchande en grand empire maritime. Ainsi quand en 1198, le Pape Innocent III lance l’appel à une Quatrième croisade, il rassemble 4 500 chevaliers, 9 000 écuyers et 20 000 soldats. Un seul État, Venise, avait les moyens logistiques de transporter une telle masse. Les Vénitiens s’engagent à fournir le passage et le ravitaillement pour 9 mois, moyennant 84 000 marcs d’argent. Ils construisent les vaisseaux requis. Cependant, au jour convenu, le 24 juin 1202, les Croisés se présentent moins nombreux et moins riches qu’escompté. Dandolo propose aux Croisés une remise de 34 000 marcs en échange de la prise de la ville concurrente de Venise, de Zara (Zadar), sur la côte Adriatique. Le 8 novembre 1202, 480 bateaux mettent le cap sur Zara qui, une semaine plus tard est prise et saccagée.
Une fourberie politique
Indigné par cette opération, Innocent III excommunie Dandolo et les Croisés. Pour sur, la Croisade ne pouvait plus mal débuter. Voyant les soldats de Dieu reconvertis en mercenaires, de nouveaux commanditaires apparaissent. Le premier est Alexis, fils de l’empereur byzantin Isaac II, récemment déposé par son frère Alexis III. Il promet 200 000 marcs et 10 000 soldats pour la libération de Jérusalem. La contrepartie est son rétablissement sur le trône de Constantinople. Alexis promet également la reconduite de l’union de l’église de Constantinople avec l’église latine. Dandolo accepte et, au lieu de gagner la Palestine, l’armada se dirige sur Constantinople.
L‘assaut de Constantinople
Les Croisés lancent leur assaut simultanément à partir de la terre et de la mer. Ce très bel exploit militaire s’achève bientôt par le couronnement d’Isaac II et de son fils Alexis IV. Malheureusement, une fois intronisé, Alexis ne peut pas honorer toutes ses promesses. Donc, Dandolo décide de renchérir sur les conditions posées par Venise, ce qui provoque le mécontentement dans Constantinople. Vu comme une potiche de Dandolo, Alexis est bientôt assassiné par ses élites. Dandolo commence par négocier avec le nouveau empereur Alexis V. Puis il décide d’aller plus loin que les simples exigences financières et de réintégrer Byzance dans le giron latin. L’assaut est court et sanglant. Constantinople est saccagée, ses œuvres d’art détruites ou emportées, ses églises profanées. L’empire byzantin se retrouve partagé entre les Vénitiens et les Francs. Le doge rapporte à Venise nombre d’œuvres d’art prestigieuses dont certaines ornent aujourd’hui la cathédrale St-Marc, notamment les quatre chevaux sculptés. Il en rapporte aussi le titre de « souverain des trois huitièmes de l’Empire Romain » pour avoir réussi à transformer la république marchande en grand empire maritime.
Une mémoire à vif
Ainsi cette Quatrième croisade – si on peut l’appeler croisade, car elle n’a combattu que d’autres chrétiens – ne sera ni pardonnée, ni oubliée par la chrétienté grecque. Celle-ci négligera ses propres intrigues, qui sont aussi responsables de l’événement. Elle rejettera sur Rome la responsabilité totale. Il suffit de regarder les images des protestations provoquées par la visite du Pape Jean-Paul II en Grèce en mai 2001, la première d’un pape, pour comprendre l’ampleur de cette amertume.