Le Dimanche de Bouvines
Georges Duby Gallimard, 1973 (réédition coll. Folio Histoire, 1985)
.«L’année 1214, le 27 juillet tombait un dimanche. Le dimanche est le jour du Seigneur. On le lui doit tout entier.J’ai connu des paysans qui tremblaient encore un peu lorsque le temps les forçait à moissonner le dimanche : ils sentaient sur eux la colère du ciel.» Ainsi s’ouvre le livre de Georges Duby consacré à Bouvines. En 1973, au plus fort du règne impitoyable de l’École des annales sur l’Université française, à laquelle il appartient pourtant,Duby choisit « par plaisir » d’écrire un texte centré sur un événement, une bataille, une journée et, pire encore,sur les phénomènes de filiation qui nous y rattachent.Destiné, quasi comme un sacrilège, à la collection grand public « Trente journées qui ont fait la France », le livre présente en outre un texte, certes érudit et complexe, mais sans note ni renvoi aux sources.Pour autant, la bataille n’occupe que peu de pages : Duby propose un récit court et très cru de la journée de Bouvines, une présentation des acteurs, du décor et de l’intrigue,à la manière d’une pièce de théâtre classique avec son unité d’action de temps et de lieu.Il s’appuie pour cela sur les écrits d’un témoin direct et proche de Philippe Auguste, en la personne de Guillaume le Breton. On y découvre un roi de France engagé en Flandre avecson armée, bientôt pourchassé par Otton, l’empereur excommunié, et ses alliés. Philippe Auguste décide de faire face et de livrer une bataille que lui-même et ses contemporains présentent après coup comme la victoire du Bien contre le Mal, dans une perspective éminemment chrétienne qu’il est de moins en moins aisé d’envisager aujourd’hui comme naturelle. C’est dans sa deuxième partie, le commentaire, que le livre prend de l’ampleur.Duby revient à ses fondamentaux pour replacer la bataille dans l’histoire de la société féodale du Nord de la France et de ses mentalités. Il est bien sûr question de l’art de la guerre auXIIIes., de la manière dont la chevalerie s’y prépare avec les tournois, de celle dont on recrute la piétaille des milices communales et comment celles-ci participent à la bataille. De manière plus globale, il est aussi question de l’influence de l’Église sur la façon d’envisager la guerre et de l’importance de l’argent pour la financer. Tout cela permet de mieux comprendre, une fois remises en perspective, les notions de guerre, de trêveou de paix dans le contexte médiéval. La dernière partie s’attache à la naissance du mythe autour de Bouvines qui, après le désastre de 1870, va prendre une place privilégiée dans notre si controversé « roman national » : Philippe Auguste, comme symbole de l’émergence de la nation française, y défait un empereur allemand…Le Dimanche de Bouvines, livre écrit à contre-courant des codes historiographiques de son époque, est pour cela un ouvrage fondamental pour le renouveau en France de l’histoire militaire. S’il s’inscrit aussi dans l’histoire événementielle, il demeure, dans sa forme,attaché à un schéma assez classique : la journée de la bataille est décrite puis expliquée et l’explication est ensuite prolongée d’un exposé de problèmes et perspectives d’ensemble.On ne rencontre pas dans l’ouvrage de cartes ou schémas détaillés sur la bataille et son déroulement ni d’étude sur les troupes en présence, même si l’amateur de jeux d’histoire trouvera, en fouillant dans les documents joints en annexes, la liste exhaustive des milices communales présentes en ce 27 juillet. Tout en ayant contribué à restaurer le prestige alors en berne de l’histoire-bataille,Le Dimanche de Bouvinesreste assez éloigné de ce que celle-ci deviendra finalement au cours des années suivantes.