Nous avons tous en tête le film d’Anatole Litvak sorti en 1967. Peter O’Toole, Donald Pleasence et Charles Gray ont laissé un souvenir inoubliable de ces trois généraux soupçonnés de meurtres. A l’origine, il y a un roman noir, un polar, « La Nuit des généraux », de Hans Hellmut Kirst publié en 1962. Son adaptation cinématographique prend beaucoup de liberté avec le texte original que les éditions Nouveau Monde ont l’excellente idée de ressortir.
Un auteur de polar reconnu
Hans Hellmut Kirst (1914-1898) s’engage dans la Reichswehr en 1933. Il gravit les échelons de la Wehrmacht pour finir avec le grade de lieutenant en 1945. Après un séjour dans un camp de prisonniers tenu par les Américains et divers petits boulots, Kirst commence à écrire. Il rencontre rapidement un certain succès. Ses intrigues se déroulent presque toutes dans le milieu militaire et dans le contexte de la Seconde Guerre. Sa connaissance du fonctionnement de l’institution, de ses intrigues, de ses coups fourrés lui offre un terrain parfait pour réfléchir au comportement des Allemands entre 1933 et 1945.
L’intrigue : un polar sous le signe de la guerre
Varsovie, 1942, un meurtrier assassine sauvagement une prostituée collaboratrice des Allemands. Rapidement, un témoin oriente l’enquête. Il a vu sortir de la chambre du crime, un homme portant un pantalon à liseré rouge. C’est un pantalon de général de la Wehrmacht. Il n’a pas vu son visage. Le major Grau qui mène l’enquête va alors s’efforcer de démasquer l’assassin. Il a le choix parmi trois généraux présents au moment du meurtre : les généraux Tanz, von Seydlitz-Gabler et Kahlenberg. Le premier, cruel et fanatique, est totalement dévoué au Führer. Le deuxième est un aristocrate opportuniste. Le troisième appartient au petit groupe qui décidera d’assassiner Hitler lors de l’opération Walkyrie.
Mais l’enquête de Grau évolue au fil des années, alors que la guerre s’étend et que l’Allemagne s’enfonce dans la défaite. De Varsovie à Paris, des salons militaires aux ruelles sombres, le crime obsède la major, tandis que la corruption, la lâcheté et l’ambiguïté morale rongent peu à peu chaque protagoniste. L’affaire se complique d’un second meurtre qui a lieu en 1944 à Paris. Les trois généraux y sont cantonnés et le mode opératoire est le même. Enfin, à Dresde, en 1956, un troisième assassinat attire de nouveau l’attention sur les trois généraux. Quatorze ans après le début de l’enquête, l’étau se resserre enfin autour du coupable.
Quand la guerre et la noirceur des âmes se font miroir
L’intrigue est construite en deux parties qui se complètent. Le récit des évènements vécus par les suspects, leur entourage et les enquêteurs permet de suivre l’évolution de chacun et les progrès de l’enquête. Une série d’intermèdes reprend des archives (journaux, interrogatoires…) qui offre un point de vue plus personnel sur chacun des trois généraux. Ce livre demeure une œuvre troublante où le polar s’entrelace à l’Histoire, et où le crime individuel vient refléter les crimes collectifs de l’époque nazie. Que l’on s’attarde à la version littéraire ou à la transposition cinématographique, le récit frappe par sa densité psychologique, son ambiance crépusculaire et son acuité à sonder la part d’ombre de l’humain.
La nuit des généraux
Hans Hellmut KIRST
Pierre KAMNITZER (traduction)
464 pages, 10,90 €