Quand Jean Lartéguy publie ces deux livres sur la guerre d’Algérie, il est déjà un grand reporter reconnu. L’homme est familier des militaires et notamment des troupes de choc.
Engagé volontaire en septembre 1939, démobilisé en 1940, il rejoint la France libre en 1943 et entre dans les SAS, section sabotage et déminage. Il débarque en Provence et « fait » la campagne de France jusqu’à Sigmaringen.
Devenu journaliste, agent secret, il part en Corée en tant qu’officier reporter pour Paris Presse. Il commande un bataillon de volontaires avec le grade de lieutenant.
Gravement blessé, soigné au Japon, il débarque en Indochine en 1953. Sa vie va être transformée. Il rencontre les paras, Bigeard, les fréquente en première ligne, vit avec eux et participe aux combats. Ses amis sont battus à Diên Biên Phu et partent en captivité.
Les Centurions commence là. Le lecteur fait la connaissance de Marindelle, Boisfeuras, Raspeguy, Esclavier, Glatigny. Fidèle à son habitude, Lartéguy a interrogé ses amis revenus des camps Viêt-minh pour en faire une description vivante. Il était en Indochine pour leur libération. Il décrit à son lecteur la mentalité qui va animer ces hommes par la suite, en Algérie : amour de la patrie, haine du communisme, fascination pour les techniques de contre-insurrection, admiration/détestation des rebelles qui se battent courageusement.
Son journal l’envoie suivre les « événements » qui débutent à la Toussaint 1954. Ses héros y participent, comme les modèles : Bigeard, Trinquier, Aussaresses, Léger. Les Centurions et Les Prétoriens proposent une histoire de la guerre d’Algérie, de la bataille d’Alger à la semaine des barricades mais du point de vue des paras. Tout y est : les combats, les morts, la torture, les arrestations. Par sa connaissance des hommes et de leurs pratiques, Lartéguy fait entrer le lecteur au coeur des conversations des soldats avec le sentiment de les voir, de humer le tabac de la pipe de Bigeard, de croiser le regard d’Aussaresses.
C’est ce qui a fait le succès des livres, 2 millions d’exemplaires vendus. Son public, souvent des anciens d’Algérie et leurs familles, a enfin une idée plutôt positive de cette guerre même si ce que raconte Lartéguy ne concerne qu’une infime partie de la troupe. Il gomme l’ennui, la trouille pour mettre en avant une certaine idée de l’armée. Ses soldats se sacrifient pour un idéal plus grand qu’eux : la France et la civilisation européenne. Ils vomissent ce qui ne rentre pas dans leur idéal : les pieds noirs, des profiteurs responsables de ce qui arrive ; les gradés, des chefs incompétents ; les fellaghas, forcément communistes ; le général de Gaulle enfin, le traître.
Ces deux volumes qui montrent l’histoire racontée par les vaincus ont installé durablement une certaine image de la guerre et ont trouvé une seconde jeunesse quand le général Petraeus, chef de l’US Army engagée en Irak et en Afghanistan, a déclaré qu’ils étaient ses livres de chevet indispensables pour comprendre la guerre insurrectionnelle et les moyens d’y mettre fin.